De l’histoire de l’habillement masculin et de la braguette – Extrait du journal de Gianni di Lorena

Boutonnée, lacée ou épinglée aux chausses, la braguette saille avec constance de l’entrejambe des mâles du Ponant pendant près de trois siècles durant, changeant d’aspect au gré de la myriade de modes dont le continent regorge au Temps-Naguère. Vouée à propulser les avantages de la Nature sur le devant de la scène, elle est pour le moins voyante : protubérante et rembourrée, cette pièce de l’habillement masculin a moins pour but de couvrir les parties intimes que d’attirer l’attention sur elles. Symbole de la virilité et de la richesse de son porteur, toutes les tendances les plus disparates la veulent à l’unisson ostentatoire, éminente, volumineuse. Les plus nantis la font tailler dans de précieuses étoffes décorées, tandis que les moins fortunés se contentent d’un tissu contrastant avec celle de leurs chausses. Sans surprise, la durée de cette mode coïncide peu ou prou avec celle du Voile d’Aphrodite, catalyseur de bon nombre d’usages érotiques à travers le Ponant après la Désunion (voir mes.

Cette section de mon journal a pour but de consigner un bref historique de la braguette ponantine et son évolution dans le temps, ainsi que de répertorier quelques-uns des principaux styles en vogue à travers le Ponant durant les évènements de MUTATIS MUTANDIS, soit entre les années 2370 et 2410 au Temps-Naguère.

L’erreur qu’ont fait et font encore beaucoup de chercheurs par manque de données précises et objectives sur le sujet, est de supputer que le Voile est à l’origine de tous les changements survenus avec la fin des guerres. Mais c’est faux. Les hommes ont été influencés sans le réaliser, c’est pourquoi il n’existe aucune documentation contemporaine du miracle faisant, en toute conscience, la comparaison entre avant et après. Tout ce sur quoi l’on peut s’appuyer aujourd’hui est l’observation et l’interprétation de l’évolution des comportements (voir à ce sujet la transcription de mon entretien avec Z. Asmahan1). Si le Voile a bien mis fin aux affrontements du jour au lendemain à travers le monde, certains aspects des sociétés ponantines avaient déjà entamé une transformation, que l’intervention divine n’a fait qu’accélérer ou exacerber. C’est le cas, entre autres, de l’habillement.

On sait aujourd’hui que le cours des évènements durant la Désunion connaît un important tournant vers 1850 au Temps-Jadis, et qu’il se poursuit jusqu’à la tombée du Voile au cours de l’année 1982. En dépit de la continuation généralisée des belligérances, des alliances se forment, des frontières commencent à se cristalliser de manière plus durable, et les peuples réapprennent lentement, péniblement à vivre plutôt que survivre. L’émergence de grandes puissances politiques entraîne également la diminution de l’emprise morale de l’Église : en s’arrogeant davantage de pouvoir, les souverains se distancient peu à peu de la férule papale, marquant l’avènement des grandes cours ponantines. Avec elles, la mode vestimentaire, quasi inexistante depuis le début des guerres, connaît d’importants bouleversements en peu de temps. À la grande offense du clergé, les habits se mettent à mouler ce qu’ils étaient auparavant voués à dissimuler, révélant enfin les lignes d’un corps resté longtemps effacé sous d’amples étoffes à même de pudiquement cacher la moindre courbe.

Ironiquement, c’est par les mâles que le Serpent est introduit dans la Garde-robe.

En cinq cents ans de batailles incessantes, la mode masculine a inévitablement été influencée par l’équipement guerrier. Une forme de vanité est née de cette célébration de la virilité exaltée par la guerre, que les hommes se réservent alors comme leur territoire exclusif, se congratulant les uns les autres à coup de grandes tapes dans le dos des exploits imposés par l’idéal martial, nécessaires à valider leur appartenance à l’hermétique fraternité. Flattant l’idée des prouesses qu’un physique athlétique et bien bâti – réel ou désiré – se doit d’inspirer tant au beau sexe qu’aux rivaux, le pourpoint matelassé porté sous l’armure cesse ainsi d’être une simple couche de protection pour devenir pièce d’habillement civile, et l’on fait désormais la distinction entre pourpoint « à armer » et pourpoint « à vêtir ». D’abord porté sous un surcot étroitement ceinturé qui se raccourcira à une vitesse outrageuse, la silhouette qu’il procure à son porteur est si avantageuse, avec une taille étroite, des épaules épaisses et un buste rebondi, qu’elle provoque l’apparition de la cotte-hardie. Sorte de tunique moulant le haut du corps jusqu’aux hanches grâce à des laçages ou des séries de boutons, celle-ci permet ainsi à ceux dont la musculature n’est pas du flan d’exhiber leurs gambettes aguerries par les chevauchées et les valeureux jeux de jambes.

En ce temps, les chausses masculines sont encore deux pièces séparées et retenues au pourpoint par des laçages, ne couvrant les jambes que jusqu’aux cuisses ; suite au raccourcissement des vêtements, plus rien ne masque donc au regard les braies de lin portées au-dessous, dernier rempart de pudeur entre l’intimité et le monde extérieur. Pour éviter d’exhiber ainsi son linge de corps sont inventées les chausses « à plain-fond », c’est-à-dire cousues entre elles au niveau des fesses, devenant une pièce d’habillement unique à enfiler à la manière de l’un de nos pantalons actuels. C’est afin de les fermer tout en permettant, si besoin, l’accès à son organe, que naît la première braguette de l’Histoire, ou plutôt son ancêtre : la « braye ». À ce moment-là, il s’agit encore d’un simple triangle de tissu comblant le vide à l’avant du bassin entre les deux chausses, retenu à celles-ci par des boutons ou des laçages (Fig. 1). Ce n’est qu’à la tombée du Voile d’Aphrodite que les choses commencent à changer, et surtout, à grossir.

Fig. 1

Aujourd’hui encore, historiens et chercheurs sont divisés sur le sujet ; certains sont d’avis qu’un phénomène (voir la transcription de mon entretien avec Z. Asmahan). Mes propres études en vue de la rédaction de MUTATIS MUTANDIS, cependant, m’incitent à penser que le Voile a bel et bien fait sortir la sexualité et ses attributs physiques du domaine de l’ordinaire, même si ses effets ont peu à peu diminué jusqu’à disparition. Il me faut donc être particulièrement clair et affirmer que, pendant ces quatre cents années, les mâles du genre humain – car c’est eux qui nous préoccupent ici – étaient tous particulièrement gâtés par la nature, une réalité que le mécanisme de l’érection semblait encore décupler. L’évolution de la braguette sous l’empire de Vénus est donc tant un reflet de la nature divine ayant mis l’amour et le plaisir au centre des préoccupations mortelles, qu’une réponse bien concrète au besoin de trouver moyen de contenir ses attributs. Celle apportée par les Ponantins tout au long de la période d’acmé du Voile a été, tout simplement, de ne rien ranger du tout.

Il est important de faire une parenthèse concernant cette première « phase » de l’influence divine, en rupture si radicale avec ce qui a précédé que ce demi-siècle étrange donne encore aujourd’hui l’impression de flotter hors du Temps. Extrêmement peu documentée, cette brève période ne le sera que par des sources ultérieures : en effet, la plupart des images ou descriptions que j’ai pu mettre à jour ne datent au plus tôt que des années 2050.

Ce que l’on peut dire avec certitude, c’est que les changements de mode amorcés peu avant la fin des guerres sont abandonnés, pour la simple et bonne raison que l’habillement dans son ensemble tombe quasiment en désuétude. De 1982 jusqu’aux environs de 2030, le Ponant se caractérise par une sorte de redécouverte, de « renaissance » des âges antiques, vus au travers du prisme des codes esthétiques sombres et flamboyants de la Désunion. Sur le plan du vêtement, la chose est flagrante. Pendant cinquante ans, les gens se contentent de se promener entièrement nus ou peu s’en faut, les seules concessions à ce simple appareil étant des pièces inspirées de l’antiquité, mais réalisées dans des matières et des tissus contemporains du Temps-Jadis, telles que des sandales et des souliers lacés, de simples chlamydes, des chitons translucides ou de légères exomides. Le réchauffement global du climat à cette période joue sûrement son rôle dans ce retour à la nudité et à une esthétique méridionale, car l’influence de Vénus ne s’est pas limité à agir sur l’âme et le corps des mortels. Dès 1982, les températures augmentent brusquement et le Ponant reste plongé dans une sorte de climat idyllique jusque vers 2030 où le froid revient peu à peu, puis en force. Comme au sortir d’un rêve, et bien que toujours fermement sous l’emprise divine, le monde reprend simplement le train des choses là où il les a laissées à la fin de la Désunion. Le vêtement réapparaît, avec lui le besoin de contenir les organes mâles, et c’est à ce moment que les choses se compliquent.

Afin de comprendre pourquoi, intéressons-nous d’abord brièvement aux couches du dessous, c’est-à-dire au linge de corps, et à la construction des chausses.

Jusqu’à la fin des guerres, les sous-vêtements masculins restent à peu près les mêmes : une longue chainse – ainsi qu’on appelle alors la chemise – et de courtes braies de lin, puis une paire de chausses rattachées à la ceinture qui retient les braies sur les hanches – le braiel –, avant que la pudeur n’inspire l’invention des chausses à plain-fond. Rien, donc, ne change fondamentalement jusqu’à ce que le Voile d’Aphrodite bouscule la morphologie des Ponantins. Comme je disais plus haut, pendant près d’un demi-siècle, disposer d’une troisième jambe ne pose aucun problème aux hommes, puisque ceux-ci la laissent simplement à l’air libre. C’est lorsque les vêtements font leur retour que des ajustements se révèlent nécessaires, car aucun service trois-pièces ne rentre plus dans les anciens vaisseliers. Afin de laisser le passage aux monstrueux engins, le bas de la chemise s’agrémente donc d’une large fente sur le devant, tout comme les braies – quand elles ne sont pas simplement omises, ce qui semble avoir été effectivement le cas jusque vers 2100. Le pénis dépassant des chausses est alors contenu dans une imposante braye, munie à l’intérieur d’une doublure de lin amovible ayant la même fonction que le reste du linge de corps : protéger les tissus externes des sécrétions corporelles, les dessous non teints étant les seules couches à être régulièrement changées et lavées.

Cette pratique de l’échancrure des dessous se poursuit jusque dans les années 2400, alors même que les chausses laissent place à la combinaison hauts-de-chausses/bas-de-chausses. Ainsi, sous la fermeture centrale des premiers – qu’il s’agisse de boutons ou laçages –, la fente permettant de les enfiler est laissée ouverte afin de laisser passer le sexe, qui est alors recouvert par la braguette venant se fixer par-dessus cette même fente et la camoufler. Je pense aux pantalons, de nos jours, qui ont remplacé le haut-de-chausse : par comparaison, c’est tout comme si l’on fermait le bouton de ceinture tout en laissant ouverte ce que nous appelons aujourd’hui « braguette » – mais qui n’est qu’une série de boutons permettant de clore le devant du vêtement –, et que l’on sortait par là son pénis avant de le recouvrir d’une poche de tissu. Évidemment, le Voile d’Aphrodite s’est depuis longtemps dissipé, et les attributs mâles ne nécessitent plus une pièce en propre afin d’être casés quelque part, et de ne pas ballotter aux yeux du monde. Mais il y a fort à parier que si le Voile ne s’était pas éteint, la braguette aurait évolué ainsi.

En ce qui concerne la taille, la braye suit de près les fluctuations du Voile. Si j’en crois mes propres yeux découvertes, lors de leur réapparition vers 2030, les plus imposantes sont capables de contenir jusqu’à trois kilos et atteindre la grosseur d’une tête humaine. Ensuite, leur calibre puis celui des braguettes diminue progressivement avant de stagner vers 2400. Ces pièces d’habillement disparaissent complètement au cours la décennie suivante.

Comme je l’ai mentionné plus haut, Du côté de la forme, cette nouvelle itération prend l’apparence d’une grosse escarcelle, car aucun des simples triangles de tissu de la fin de la Désunion ne serait en mesure de contenir les nouveaux arguments masculins. Durant les décennies 2030-2040, certains pénis atteignent encore de telles proportions, cependant, que cette bourse replète n’abrite que les testicules, allongeant sur l’avant une sorte de long « nez » nécessaire à enclore l’extrémité du membre (Fig. 2).

Fig. 2

De ces exceptions naît un style particulier qui fait brièvement fureur et inspirera la forme ds poulaines : appelées « langues de dragon », ces brayes ressemblent à de longs cônes aux pointes effilées pouvant atteindre plus de cinquante centimètres, souvent de couleur rouge, noire ou verte (Fig. 3). Ce style disparaît aux alentours de 2100.

Fig. 3

Hormis ces particularités, la braye reste à l’état de simple contenant, gardant sa forme de grosse bourse pansue jusque vers 2300 (Fig. 4 & 5). Tout au plus se contente-t-elle d’enfler puis de rapetisser, de s’attacher plus haut ou plus bas, à l’aide de boutons, de cordons, d’aiguillettes ou même de broches ornementales.

Fig. 4

Fig. 5

Ce n’est que dans les années 2290 qu’elle effectue graduellement sa mutation vers des formes plus structurées. Vers 2310, elle est complètement passée de mode et se trouve remplacée par la braguette, dont les styles se font presque aussi nombreux que les royaumes ponantins. À quelques variations près, ils resteront les mêmes jusqu’à leur disparition définitive vers 2410.

Deux influences prépondérantes président à la mutation de la braye vers la braguette.

La première est, à nouveau et sans surprise, l’équipement militaire. Tandis que l’empire du Voile d’Aphrodite se dissout et que les travers humains refont surface, les outils de la guerre ressortent des placards où ils ont été remisés depuis la fin de la Désunion. S’ils n’ont plus la taille faramineuse des premiers temps, les membres virils sont, néanmoins, bien plus conséquents qu’avant la tombée du Voile, et les armures doivent relever le même défi que les chausses quelques générations plus tôt : réussir à loger d’énormes engins là où la place manque désormais. Forgerons et armuriers pallient ce problème en dotant les armures d’une coque protubérante à l’entrejambe qui, bien que peu pratique, a cependant l’avantage de protéger les parties sensibles (Fig. 6). Seuls les cavaliers refusent de la porter, s’affublant d’un dispositif spécial, consistant en un harnais de cuir porté sur les épaules, destiné à soulever et plaquer la braye contre le bas-ventre, permettant de ce fait une montée en selle sans douleurs.

Fig. 6

La seconde inspiration déterminante dans la structuration de la braguette apparaît aux environs de 2270, quand se forme dans les pays germaniques une compagnie de mercenaires légendaire : les lansquenets. Gagnant très vite en renommée grâce à leurs talents militaires, leur brutalité et leur efficacité, ils se rendent utiles auprès d’un si grand nombre de couronnes qu’ils sont bientôt en mesure d’imposer certaines conditions à leur emploi, en plus des espèces sonnantes et trébuchantes. La plus notable est l’exigence d’être soustraits aux lois somptuaires, qui dictent alors qui peut porter quoi en fonction de son rang et de son état social. Dès ce moment, les lansquenets deviennent libres de toutes les fantaisies, et développent un style propre, d’une excentricité extrême, qui les rend à la fois aisément reconnaissables et célèbres au point d’exercer une forte impression sur la mode masculine civile. La braguette est la plus fameuse : ce sont les lansquenets qui, les premiers, ornent leur entrejambe de ce qui n’est plus seulement un sac permettant de contenir les organes génitaux, mais une pièce à la forme travaillée.

Il est cependant impossible de décrire au juste à quoi elles ressemblent car, libérés de toute loi somptuaire, les mercenaires laissent en général libre cours à leur imagination : aucune braguette ne ressemble à l’autre. Le consensus parmi les historiens est que les styles et formes en usage à travers le Ponant au Temps-Naguère sont, à la base, des créations de lansquenet ayant été adoptés par les autochtones de telle ou telle région. On sait aujourd’hui qu’à l’image du reste de leurs vêtements, leurs braguettes sont souvent extrêmement colorées, bariolées, peuvent être faites de plusieurs tissus différents, présenter de multiples crevées, être ornées de taillades, de broderies, de rubans, de bijoux, être en partie ou entièrement métalliques, en forme de cornes torsadées et recourbées, ou même évoquer la forme de monstres fabuleux, s’orner de têtes de dragons, de lions et autres têtes de démons grimaçant. C’est ce dernier style qui est resté le plus associé aux lansquenets dans l’imaginaire ponantin, c’est pourquoi leurs braguettes sont dites « en masques » ou « en mascarade ». Il est d’ailleurs en usage dans plusieurs royaumes durant les temps de carnaval ou de bal masqué.

Fig. 7

La chose qu’il est très intéressant de constater à propos de ces deux exemples, est que la transformation de l’habillement masculin en Europe a suivi une trajectoire relativement similaire – à quelques exceptions près – entre la fin du Moyen-âge et la Renaissance, et ce en dépit de l’absence d’une influence telle que le Voile. C’est d’ailleurs, sans doute, la raison qui a fait peu à peu passer de mode cette tendance à la flagrante dissimulation jusqu’à sa disparition totale à la fin du XVIe siècle, quand elle a battu son plein à travers le Ponant pendant près de quatre cents ans. Mais ça, ses habitants l’ignoreront toujours (voir mes notes : Des variables et leur origine, IV.52).

Abordons à présent les styles principaux en usage durant la période couverte par MUTATIS MUTANDIS, comprises entre les décennies 2370 et 2410. Je ne recenserai que ceux qui apparaissent effectivement dans le cycle – en mettant de côté la braye, illustrée dans les scènes se déroulant dans le passé de l’histoire – car ce sont les seuls à avoir donné lieu à des reproductions réalisées par la talentueuse équipe du département des costumes du Théâtre.

Tout comme l’on parle d’une chaussure sous un angle à la fois technique et stylistique, il est important de distinguer les différentes parties d’une braguette afin de la décrire précisément. Ce jargon est celui des « braguettiers », une spécialisation du métier de tailleur apparue lors de la mutation de la braye en braguette ; car en construire une qui sied parfaitement et confortablement à son porteur nécessite du savoir-faire, et de nombreux essayages.Avec logique, on parle donc de son extrémité en parlant de la « tête », de sa base en parlant de son « pied » et de la hampe en se référant à son « corps ». Lorsque qu’elle est vue de face, les courbes qui la dessinent d’un côté et de l’autre sont appelés les « flancs ». De profil, la courbe extérieure est appelée « panse », tandis que la courbure intérieure – côté du ventre – est la « nuque ».

En Pays d’Oyl, on dit la braguette « en proue ». Attachée aux culottes par des boutons, elle possède une forme oblongue. De profil, son corps s’allonge presque à l’horizontale, recourbant légèrement la tête vers le haut afin de dépasser des longues basques du justaucorps, évoquant une proue de navire. Elle doit également ce nom au fait que sa tête est généralement frappée d’un emblème : par exemple, les braguettes des rois d’Oyl sont souvent ornées du symbole de la fleur-de-lys (Fig. 8 & 9).

Fig. 8

Fig. 9

La Nouvelle-Mode utilise une forme similaire, mais affinée, fuselée, et souvent décorée de pendeloques, de bijoux ou d’échelles de rubans : elle est alors dite « à l’exquise » (Fig. 10).

Fig. 10

Le Pays d’Oc est l’un des très rares du Ponant à avoir conservé l’aspect en bourse arrondie et replète de la braye. Retenue par des boutons ou des aiguillettes, elle est dite « en escarcelle » et se couvre souvent d’un petit rabat de dentelle ornemental épinglé à la ceinture des haut-de-chausses, surnommé « petit collet » (Fig. 11 & 12).

Fig. 11

Fig. 12

De profil, les braguettes – codpiece en anglois – des îles d’Albion ont une panse rebondie, la tête largement arrondie et une nuque renflée, leur donnant presque la forme d’une grosse oreille dépassant des haut-de-chausses, ou d’entre les basques des saies. Elles sont d’ailleurs dites « en oreillon » (Fig. 13 & 14). De face, elles ont une tête large et un corps oblong, et s’attachent à l’aide d’aiguillettes. Chez les plus riches, elles peuvent être ornées de crevées qui laissent apparaître le tissu de doublure.

Fig. 13

Fig. 14

Les braguettes germaniques ont un corps large et régulier, qu’il s’agisse de la panse ou des flancs, et une tête à l’avenant. De profil, elles remontent le long du ventre en décrivant un léger arc en direction du nombril. Elles sont dites « en chandelle ».

Dans certains royaumes, tels que Geisterberg (Fig. 15) ou Glockenspiel (Fig. 16), cette forme leur permet de dépasser des haut-de-chausses très volumineux.

Fig. 15

Fig. 16

Dans d’autres, tel Hamelin, elle épouse l’arrondi du panseron des pourpoints – un rembourrage abdominal dans la doublure, donnant l’illusion d’un faux ventre, caractéristique de ce pays (Fig.17).

Fig. 17

Les braguettes des pays du Ponant Central sont les seules à pointer vers le bas, décrivant une courbe en direction des genoux. Grâce à leur structure relativement souple, elles sont également les seules à pouvoir se redresser pour accompagner le mouvement érectile du sexe qu’elles renferment, soulevant du même coup les longues basques qu’ont les pourpoints dans ces royaumes.

En Pannonie, elles sont retenues aux chausses par plusieurs rubans formant des nœuds ornementaux autour de son pied. Constituées de bandes de tissu semi-rigides resserrées au centre du corps par un autre ruban, elles laissent voir le tissu blanc de la doublure ; c’est en raison de leur ressemblance avec les manches du même style qu’elles sont dites « à la virago » (Fig. 18).

Fig. 18

Dans les royaumes d’Ibérie, la braguette dépasse des hauts-de-chausses parfaitement à l’horizontale. Attaché par des aiguillettes, son corps est épais, tubulaire, et la tête légèrement bulbeuse : elle est ainsi dite « en bélier » ou « en boutoir » (Fig. 19).

Fig. 19

La braghetta d’Ausonie est dite « en mât » en raison de la forme de son corps, lui aussi parfaitement tubulaire, mais moins épais que la braguette ibérique. Son profil la fait jaillir presque à la verticale, tandis que sa tête est arrondie et dans le prolongement des lignes du corps. Elle est souvent faite d’un tissu monochrome, couvert d’un manchon de point-coupé (Fig. 20).

Fig. 20

Une pièce très particulière existe dans certains royaumes du Ponant Oriental : la braguette apotropaïque dite « en gargouille » ou « en bestion ». De profil oblique, elle est brodée, piquée et cousue de manière à représenter une bête monstrueuse ou chimérique – dragon, gargouille, griffon, serpent, etc. –, dont la tête coïncide avec celle de la braguette (Fig. 21).

Fig. 21

Dans les pays du Götaland, elle est dite « en ogive » ou « à l’œuf », car son corps présente une forme très renflée, quasiment ovoïde, et qu’il est d’usage de porter au-dessous deux sphères de métal précieux, de joyaux, voire même des grelots, attachées au bout de chaînettes, pour symboliser les testicules et donc la fertilité du porteur (Fig. 22).

Fig. 22

Dans les septentrionales contrées de Ruthénie, la braguette est « en corne » : dépassant des longues basques du kaftan ou de la svita, sa panse est très renflée, arrondie, tandis que sa nuque est très courte et presque horizontale. Son pied est très large, mais sa tête se termine en pointe, si bien qu’elle évoque la corne d’un animal. Du fait de sa méthode de construction, une couture convexe la partage toujours en deux par le milieu, lui donnant presque l’aspect d’un double tranchant ; c’est pourquoi elle est également dite « en tranchoir » (Fig. 23).

Fig. 23

S’il est peu probable que le peuple boréen, dans les lointaines contrées nordiques, ait connu la braye ou les fantaisies des lansquenets, le Voile d’Aphrodite a néanmoins touché ses mâles, qui ont dû avoir recourt à un stratagème afin de ranger leur attirail et de le protéger des rudesses de l’hiver. Celui-ci ressemble à une sorte de harnais muni sur l’avant d’une grosse bourse entièrement doublée et bordée de fourrure, couverte d’une coque de métal travaillée en forme de visage monstrueux et grimaçant. À l’instar des braguettes du Ponant Oriental, l’usage en est supposé apotropaïque. Les rares Ponantins ayant eu l’occasion de voir ce harnachement de près l’ont assimilé à leurs braguettes, dès lors le nommant « braguette à la diable » (Fig. 24).

Fig. 24

  1. Ce dossier est consultable dans la salle des archives. ↩︎
  2. Le dossier référencé ici par G. d. L. reste à ce jour introuvable. ↩︎