SCÈNE PREMIÈRE : Le roi Théophalle et la reine Béatrice

Avec leurs silhouettes longues et verticales, les souverains incarnent ici la mode plus conservatrice du pays d’Oyl vers les années 2370 au Temps-Naguère.

Par-dessus sa jupe de brocart d’or, la reine porte une robe « à la mantua » – également appelée « manteau » –, dérivant des robes de chambres et des banyans portés depuis plusieurs décennies dans les situations les moins formelles du chez-soi. De brocart de soie pourpre et or, elle est ceinturée à la taille, et ses pans sont retroussés et épinglés sur le bas des reins de manière à en accentuer la courbure, ainsi qu’à former une traîne dont la doublure d’un vert olivâtre contraste avec celle du manteau. De même couleur, la pièce d’estomac triangulaire en soie, comblant l’ouverture de la robe, y est épinglée, ainsi qu’au corps-à-baleines porté au-dessous ; elle est décorée d’un imposant bijou de corsage serti de perles et de camées. Autour de ses avant-bras cascade une superposition de trois engageantes – des manchettes amovible attachées au-dessus du coude – faites de « gros-point », une dentelle ausonienne alors extrêmement prisée, dont est aussi fait l’ornement de son décolleté, ainsi que la couronne et les pendants de sa fontange. Cette haute coiffe se compose d’un bonnet épinglé à l’arrière du crâne, dont le sommet est agrémenté de plusieurs couches de dentelle plissée et de rubans, maintenues à la verticale par une structure de fils métalliques. Les cheveux de la reine sont arrangés sur l’avant du crâne en plusieurs rangées de boucles ornées de perles, et elle porte couramment deux mouches de taffetas noir, l’une sur le sein gauche, l’autre près de l’œil droit.

Théophalle est habillé d’un justaucorps de velours bleu céruléen, dont les revers de manche de brocart d’or – assortis au gilet qu’il porte au-dessous –, laissent dépasser ses manchettes de gros-point et le gonflant de sa chemise de lin blanc. Ses culottes, à peine visibles, sont du même velours bleu, tandis que sa braguette de brocart rouge et or est assortie à ses bas de soie, passés par-dessus l’extrémité des culottes et sécurisés sous le genou d’une jarretière de cuir noir. Ses souliers à boucle d’or sont de cuir noir à revers de soie rouge. Son buste est ceint d’une écharpe aux couleurs de la maison royale – blanc, or et noir –, et sa cravate est de gros-point. Sous son tricorne noir au bord intérieur garni de plumes d’autruches, le roi porte une abondante perruque de boucles de cheveux blond pâle, soit sa couleur naturelle lorsqu’il n’était pas encore dégarni.

Si la plupart des coiffures les plus élaborées portées sur scène par les acteurs de MUTATIS MUTANDIS sont en réalité des perruques – comme c’est le cas pour le personnage de Béatrice, ici –, elle est cependant un accessoire de mode indispensable chez les gentilshommes d’Oyl s’accrochant à la mode vestimentaire la plus traditionnelle de cette période.

SCÈNE II : La fée Carabosse et le roi Pelegrin

Les deux personnages présentent tous deux des styles en vogue dans les royaumes françois et du Ponant Central vers 2150 au Temps-Naguère ; l’excentricité de la mise de la fée, cependant, est révélateur de sa nature.

Elle est vêtue d’une robe d’un vert diapré extrêmement longue, aux manches à l’avenant, dont l’ourlet bas est bordé d’orfroi tout du long. Elle est ceinturée haut sur la taille par un bandier de cuir ocre, rehaussé de pierres d’ambre. Son immense hennin pointu est garni du même tissu d’émeraude moiré que sa toilette ; chez une femme mortelle de cette époque, sa coiffe aurait été constituée de paille tressée ou de bougran recouvert d’étoffe, mais pour une fée, qui sait… ? Les voiles qui en tombent sont d’une couleur de crépuscule flamboyant, exactement assortis à la teinte de la doublure de sa robe, et de sa cotte portée au-dessous. Elle est chaussée de poulaines dont la longueur indique le plus haut rang qui soit.

Le roi Pelegrin, sommairement habillé, a passé à la hâte une paire de chausses à plain-fond et à poulaines, semellées de cuir, de laines jaune et rouge, fermées sur l’avant d’une braye pareillement bicolore et retenue grâce à des aiguillettes. Ces chausses seraient normalement attachées au bas ou à l’intérieur de la taille d’un pourpoint, afin de les maintenir en place et d’éviter – comme c’est le cas ici lorsqu’elles ne sont pas proprement fermées à l’avant – qu’elles ne manquent de tomber au moindre mouvement. Pelegrin s’est également enveloppé d’une épaisse houppelande de damas jaune d’or et noir, doublée et bordée de fourrure, aux épaules rembourrées de maheutres.

SCÈNE III : La reine Gwendolen et le roi Heinrich

La reine est habillée à la mode courante du royaume de Geisterberg vers 2370, très fortement inspirée par celle du pays anglois d’Angelcynn depuis les années 2340. Sa jupe de velours dévoré bleu pâle est entièrement doublée de fourrure de lapin blanc et ourlée de drap d’argent cousu de perles. Elle est assortie à son corsage dont la doublure renforcée de bougran lui donne cet aspect rigide et lisse, et dont les bourrelets, aux épaules, sont constitués de panneaux de tissu doublés de lapin. Les manches, amovibles et rattachées au corsage, sont taillées dans le même drap d’argent cousu de perles que sa jupe de dessous. Sa poitrine et ses épaules sont couvertes d’une guimpe échancrée, de mousseline de lin translucide cousue de perles et d’aigues-marines. Elle est portée avec une courte fraise de dentelle empesée et un carcan d’argent, dont les pierres sont assorties aux ornements de la guimpe, de la ceinture ornementale et de la ferronnière. Les cheveux de Gwendolen sont coiffés en un mélange de la manière de Geisterberg et du petit royaume ausonien de Santacqua, dont la mode s’est presque pétrifiée au siècle précédent. Sous sa toilette, le vertugadin à l’ibère donne à ses jupes leur forme de cône, et un bourrelet porté sur les hanches permet de les arrondir. Cette scène se passant en hiver, une autre femme qu’elle aurait certainement enfilé une robe fourrée par-dessus l’ensemble afin de se tenir chaud, mais la reine ne craint pas le froid.

Rejetant la vogue de son temps, Heinrich fait de la résistance en choisissant de s’habiller selon l’ancienne mode des pays germaniques, comme son père et son grand-père. Inspirée par les excentricités des lansquenets, celle-ci avait une passion pour les crevées – qui décorent ici l’entièreté de son pourpoint ainsi que sa braguette, tous deux faits de bandes de satins rouge et noir – et pour les taillades – que l’on peut voir tout le long de ses hauts-de-chausses, constituées de bandes de satins des mêmes couleurs que le pourpoint. Ses hauts-de-chausses sont attachées à celui-ci par le biais d’une série d’aiguillettes, tout comme l’est la braguette qui les ferme à l’avant. Ses bas-de-chausses sont de laine rouge, et ses souliers ont une forme typique de l’ancienne mode germanique. Il porte un large béret piqué d’une plume d’autruche, aux larges bords fendus, repliés sur eux-mêmes et maintenus par des aiguillettes d’argent. Une ample chamarre de velours noir entièrement doublée de fourrure de même teinte et ourlé de drap d’argent complète le tout. La chemise de lin blanc du roi, abondamment plissée autour du cou, ressort par les crevées du pourpoint ; cet effet est imité sur les hauts-de-chausses, dont la doublure blanche est visible par les taillades, et sur la braguette, où d’autres crevées laissent également voir la doublure de lin. En rupture totale, cette fois, tant avec la mode de ses pères autant que celle de ses contemporains, Heinrich porte les cheveux longs, une décision inspirée par le surnom qui lui a été donné sur le champ de bataille – et non l’inverse, comme beaucoup le croient – : le Lion Noir.

SCÈNE V : Théodora, Cléadora et leurs parents

La famille des deux sœurs montre la manière de se vêtir des paysans de la région des Marches – dans le Ponant Oriental – à l’aube du Temps-Naguère, soit près de trois-cent ans avant le présent de MUTATIS MUTANDIS. Contrairement aux élites de leur temps, les membres de la famille ne portent que les couches de vêtement les plus basiques, essentielles à la vie et au travail quotidien à la campagne. Elles sont taillées dans des étoffes résistantes, pratiques et peu onéreuses.

Les femmes sont habillées d’une simple cotte de laine doublée de lin. Les manches amovibles de la mère sont épinglées aux courts bras de sa cotte ; de cuir brut, elles sont destinées à protéger les manches de sa chainse (chemise), portée au-dessous, des travaux salissants, mais pourraient être remplacées par des manches de belle étoffe si l’occasion le demande. Les coiffes féminines sont de simples, larges carrés de lin, arrangés et maintenues en place par des épingles. Si Théodora et Cléadora ont remonté l’avant de leur cotte – l’une grâce à d’autres épingles, l’autre avec une ceinture – pour une question de praticité, la mère porte un tablier. Comme le père, toutes trois ont de simples souliers de cuir à bout pointu, imitant les poulaines de la noblesse.

Alors que les chausses à plain-fond sont démocratisées depuis plus d’un siècle, le père porte encore – à nouveau, pour des questions pratiques –, des chausses séparées, retenues au braiel tressé qui maintient en place ses braies de lin. Celles-ci, ainsi que les larges pans de sa chainse, sont fourrés dans ses chausses et masquent la protubérance de son pénis. Une tunique de laine doublée de lin, portée ouverte, complète l’ensemble. Il porte sur la tête une cale de lin pour maintenir ses cheveux propres, et un chapeau de paille pour se protéger du soleil.

SCÈNE V : La fée Carabosse

Les atours de la fée offrent un violent contraste avec les modestes habits de la petite famille, non seulement en terme de couleurs, mais aussi de richesse et de style, car la fée est vêtue comme seules auraient pu l’être les plus opulentes femmes de ce temps.

Son immense houppelande de brocart multicolore est entièrement doublée d’hermine, et si longue qu’elle nécessite la présence de pages pour en porter les pans et la traîne lorsqu’elle marche. Son col déboutonné et grand ouvert révèle la cotte de soie cramoisie qu’elle porte au-dessous. Un somptueux bandier de cuir, recouvert du même tissu et cousu de perles et de joyaux, ceint sa taille très haut, comme c’est la mode en ce temps-là. Des pierres semblables ornent le carcan couvrant son cou et sa gorge, ainsi que l’énorme escoffion qui la coiffe. Celui-ci est composé de truffeaux de soie cramoisie maintenant le tout sous cette forme de « cornes », sur lesquelles est fixé un bourrelet du même brocart que la robe, surmonté d’un interminable voile.

Les pages qui accompagnent la fée sont habillés de versions plus simples de la houppelande de Carabosse, boutonnés aux poignets et jusqu’en haut du col.

SCÈNE VII : La fée Dragée et Fritz Drosselmeyer

Il est établi que les fées raffolent de la pompe et du décorum : les atours les plus luxueux, majestueux et dramatiques leur sont irrésistibles. Le costume de la fée Dragée est ici représentatif de la silhouette en vogue pour les dames à la cour du margrave de Glockenspiel vers les années 2370, mais d’une richesse et d’un apparat que n’aurait pu se permettre qu’une reine.

Sa jupe de dessous est de velours rouge sang et de drap d’or, brodée de bijoux de perles, d’escarboucles et de diamants noirs. Elle est assortie aux énormes manches de son corsage – ordinairement supportées par une structure de lin et de baleines, à la manière des vertugadins –, à la doublure de ses manches de dessus ouvertes et traînantes, ainsi qu’à la pièce d’estomac couvrant l’avant de son buste. Les mêmes pierres ornent la ceinture de bijoux soulignant la pointe dessinée par son corsage. Sa jupe de dessus, ouverte sur l’avant pour laisser voir celle de dessous, est également de velours rouge, entièrement cousu de perles et de fleurs de porcelaine – pour imiter le sucre – ; elle est assortie à ses manches de dessus, ainsi qu’à son corsage. Ses manchettes et sa vaste fraise ouverte sont entièrement de point-coupé empesé. Son voile est maintenu sous forme de cœur grâce à un fil métallique, caché par les ornements de perles et d’escarboucles qui le bordent tout du long. Sous ses atours, Dragée porte sur les hanches un épais bourrelet de tissu, surmonté d’une sorte de disque de lin renforcé de plusieurs baleines ; porté autour de la taille, cette structure donne aux jupes une forme de tambour. Typique de Glockenspiel, elle y est appelée « grand vertugadin ».

Dans MUTATIS MUTANDIS, toutes les perles, pierres et dentelles de la tenue de Dragée sont censées être faites de sucre ; pour évoquer ce matériau inhabituel sur la scène, les dentelles ont été ici couvertes d’un vernis qui les rend lisses et brillantes.

Avec beaucoup plus de simplicité, les vêtements de Fritz illustrent la silhouette masculine en vogue dans le comté de Glockenspiel, dans un style quotidien très éloigné de ce que le garçon aurait porté à la cour. Ses hauts-de-chausses de velours vert, larges et lâches, sont assortis à sa braguette et à son pourpoint. Celui-ci est structuré et rembourré dans la doublure de manière à figurer un léger ventre passant par-dessus la ceinture : appelé « panseron », cette fausse bedaine à la mode dans les royaumes germaniques est venue du royaume d’Hamelin – bien qu’il soit beaucoup plus prononcé là-bas. Par-dessus, il porte un justaucorps de cuir beige étroitement ceinturé. Les manchettes de Fritz sont de point-coupé empesé, et cette même dentelle décore le bord de son col amovible.

SCÈNE VIII : Ulysse et Pépé Jonas

La scène où sont utilisés ces costumes se déroule près de deux cents ans avant le présent de l’histoire de MUTATIS MUTANDIS. Démodé au point d’être anachronique, celui d’Ulysse donne à voir ce qu’aurait pu porter un noble seigneur durant les premiers temps du Réaume, soit plus de deux mille ans auparavant. De l’autre côté, Pépé Jonas est tout à fait à la mode de son époque en dépit de son grand âge.

Des dessous d’Ulysse ne se distinguent que ses chausses de laine cramoisies, entre les lanières de ses souliers de cuir aux fermoirs sertis de gemmes. Par-dessus vient une cotte de laine d’un violet profond. Venant ensuite, sa tunique de laine cramoisie doublée de lin est un bliaut, dont l’amigaut – la fente ornementée ouvrant la poitrine –, l’extrémité des manches et des pans sont décorés d’orfroi. Pareillement orné, son grand mantel de laine verte doublée de lin est retenu par un fermail, une grosse broche d’or sertie de gemmes. Un cercle d’or décoré de pierreries semblables lui ceint le front, et une grande escarcelle de cuir pend à sa ceinture.

Les chausses de laine rouge de Pépé Jonas sont d’un seul tenant – de style « à plain-fond » –, fermées à l’avant d’une braye jaune retenues par des lacets. Ses poulaines de cuir noir sont à la dernière mode, tout comme son pourpoint aux épaules rembourrées – les « maheutres » –, lui aussi fermé par des laçages. Pépé Jonas a sur la tête un chaperon de laine rouge*, qui depuis plusieurs décennies déjà n’est plus porté en tant que tel, mais comme couvre-chef : l’ouverture pour la tête est rembourrée et portée autour du front, tandis que la cornette, la longue « queue » du chaperon, et la patte, la partie couvrant normalement les épaules, peuvent être arrangés ou noués sur la tête de plusieurs manières différentes. Ici, la patte pend sur le côté de sa tête, tandis que la cornette est drapée à la manière d’une écharpe.

* Bien que le livret de la Pavane des Fées Sans-gêne mentionne clairement que Jonas porte ses braies sur la tête durant cette scène, la direction du Théâtre a demandé au dernier moment au département des costumes de procéder à ce changement et de le coiffer d’un chaperon, afin « de ne pas offusquer les bonnes mœurs ».

SCÈNE X : La Brimbelle et le duc de la Mentulière

Ces deux costumes montrent à quoi pouvait ressembler la Nouvelle-Mode vers 2375 au Temps-Naguère. Aux antipodes du goût traditionnel du Pays d’Oyl – représenté par les costumes de la Scène Première –, cette mouvance favorise les extrêmes.

La Brimbelle est vêtue de ce qui, à cette époque, commence à être connu hors du Pays d’Oyl comme une « robe à la françoise ». En soie brodée à motifs de branches de myrtillier portant fleurs ou bien fruits, cette toilette est constituée de la robe en elle-même – fermée sur le buste par une série de boutons plutôt qu’une pièce d’estomac, comme c’est plus généralement l’usage – ainsi que de la jupe assortie, apparaissant par l’échancrure de la robe à l’avant. Les engageantes attachées à ses coudes sont en vaporeuse dentelle d’Enlusson – une production purement françoise d’un style très novateur –, qui garnit aussi son décolleté. Caractéristiques de la Nouvelle-Mode, les paniers attachés autour de sa taille, sous ses jupes, sont ce qui leur donne cette forme particulière. Le plus spectaculaire se trouve cependant sur la tête de la comtesse. Nommée « pouf », cette coiffure est échafaudée à partir des vrais cheveux de la dame ainsi que nombre d’extensions, tout autour d’un coussin de gaze et de crin et d’une structure de fils de fer ; le tout est ensuite abondamment poudré et décoré de rubans, de fleurs, de plumes, de perles, de modèles réduits et de milles autres choses encore. Le style porté ici par la Brimbelle est appelé « belle-poule » – en référence au nom d’un navire de guerre françois, La Poule d’Eau –: il est surmonté d’une maquette de navire aux voiles frappées d’un brin de myrtille – dont la comtesse a fait son emblème – sous laquelle les cheveux du pouf sont arrangés de manière à figurer des vagues. Pour les besoins de la scène, cette coiffure a été conçue ici comme une perruque, mais les poufs de la véritable comtesse étaient construits à partir de sa propre chevelure.

Le duc de la Mentulière est tout aussi avant-gardiste que sa partenaire, même si la version masculine du pouf est moins décorée et tient beaucoup plus – voire entièrement – de la perruque, déjà à la période dépeinte dans cette scène. Il est d’usage chez les « exquis », ainsi que l’on nomme les partisans de la Nouvelle-Mode, de surmonter cette coiffure d’un petit tricorne, ici agrémenté d’une plume d’autruche et rappelant la couleur noire des souliers de cuir à boucle d’or et de perles. L’une des principales différences entre le costume masculin traditionnel d’Oyl et celui de la Nouvelle-Mode est l’ajustement : le duc porte un habit de taffetas qui moule au plus près ses formes de haut en bas. Il est constitué de culottes et d’un justaucorps d’un même vert printanier, et d’un gilet de soie rose ourlé de drap d’or. Les rayures blanches et roses de ses bas de soie font écho au motif de sa braguette, également de soie, et parée de bijoux sertis de perles. D’autres témoins du goût des exquis pour l’ornementation sont le bouquet de fleurs passé dans la boutonnière et le jabot en dentelle d’Enlusson, rappelant ses manchettes et porté sous l’énorme nœud que fait sa cravate de soie blanche.

SCÈNE XII : Carabosse, Esclarmonde-la-Sélène & la Dame aux Lilas

Ces trois costumes incarnent parfaitement la façon qu’ont les immortelles de concevoir le passage des modes chez les hommes, comme tout ce qui comble leurs vies fugitives : sans conséquence. Si la plupart des fées ont tendance à se conformer aux tendances du lieu et de l’époque où elles se trouvent, c’est en général par pur désir de s’accaparer la pompe et l’apparat d’un moment. Autrement, il leur est égal que ce qu’elles portent soit démodé depuis cinquante ou cinq cents ans, parfois au point même de mélanger allègrement les styles et les périodes au gré de leurs envies. La plupart d’entre d’elles se figent pour un temps dans l’image revêtue lors d’un passage émotionnellement chargé de leur existence – car les fées sont des êtres de pouvoir et d’émotion –, avant que leur immortalité ne finisse fatalement par les porter ailleurs. Considérées sous cet angle, elles sont très semblables aux chats : ce sont des créatures d’habitude… jusqu’à ce qu’elles ne le soient plus.

Esclarmonde porte ici une tenue déjà passée de mode à l’époque où se déroule cette scène : aux alentours de 2147 au Temps-Naguère, la cotte-hardie n’est plus guère portée par les Ponantines. Mais comme il sied à une fée, la sienne est faite d’un tissu merveilleux, évoquant l’argent reluisant sous la lune – ici du drap d’argent que la mise en scène anime par un subtile jeu d’éclairage. Sa doublure, celle de ses longues manches ouvertes, ainsi que le tissu de la cotte qu’elle porte au-dessous sont d’une étoffe aérienne, presque impalpable, montrant un éventail infini de nuances de bleu perpétuellement changeant – ici, de la soie peinte dont les nuances sont également animées par la mise en scène. La coiffure de la Sélène est une autre manière d’être hors du temps : inspirée tant de l’Antiquité grecque que de l’époque du Réaume, cette perruque figurant la chevelure de la fée est maintenue par des rangs de perles et des bandes de soie peinte. La ceinture d’argent et de perles qu’elle porte sur les hanches est munie de troussoires, permettant par leurs crochets de dévoiler les nébulosités bleutées de ses dessous en relevant les pans de sa cotte-hardie.

La Dame aux Lilas est un peu moins démodée. Sa vêture évoque les différentes nuances que prennent les fleurs à qui elle doit son nom, illustrant à merveille à quel point les fées peuvent se montrer monomanes. Le dévoré du velours violet pâle de sa houppelande à très longues manches présente des motifs de fleur de lilas, tandis que sa doublure de soie violine est accordée à la cotte qu’elle porte au-dessous, dont l’on ne distingue que les poignets. Encadré par sa guimpe et le long voile qu’il supporte, tous deux d’un délicat mauve rosé, son double hennin aux croisillons de drap d’or est criblé de motifs de fleurs de lilas, faisant écho au bandier qui lui ceint la taille juste sous la poitrine.

Tout comme sa consœur fleurie, Carabosse porte une houppelande de velours dévoré. Rouge sang, la traîne et les manches d’une longueur démesurée – vingt-six mètres exactement, afin que le costume puisse traverser la scène jusque dans les coulisses –, elle est doublée de soie blanc neige ourlée de drap d’argent. Son bandier est couvert de ces mêmes tissus. Le col de sa robe est fermé par une broche d’or et de diamant, figurant un œil ouvert. Posé sur la blancheur du tissu qui cache ses cheveux et la barbette qui lui ceint le menton, son hennin, d’une longueur tout aussi extravagante que son habit, est couvert du même velours que celui-ci. Les voiles soigneusement architecturés qui le surmontent sont maintenus sous cette forme par une invisible structure de fil d’archal.

SCÈNE XII : Le roi Pelegrin & la reine Mahaut

Durant cette même scène, les souverains de Sylvanie ont revêtu des tenues d’apparat pour le baptême de leur fille. Tous deux portent le grand mantel royal de cérémonie, entièrement doublé de véritable hermine, et dont le velours d’un profond bleu de cobalt est parsemé de broderies au fil d’or, figurant des étoiles et des corps célestes indéterminés. L’étoile a toujours été un symbole d’importance en Sylvanie au long de son histoire, aussi mes propres recherches tendent à indiquer que les deux motifs sont en fait des étoiles, les plus gros représentant simplement celles qui sont plus visibles et brillantes que les autres.

Pelegrin est habillé d’une longue houppelande de velours vert dévoré, doublée et bordée de fourrure de renard, boutonnée jusqu’à la taille. Sa ceinture d’or et de perles est choisie pour s’accorder à ses autres bijoux : sa chaîne et son pendentif en trèfle quadrilobe, son carcan d’escarboucles, les fermaux de son mantel et bien sûr, sa couronne des grandes occasions, d’or sertie de saphirs, d’émeraudes, de rubis, de diamants et surmontée d’énormes perles. Sous sa robe, le roi porte des chausses de laine rouge. Le plus étonnant reste sans doute la paire de poulaines de velours et de drap d’or cousu de perles qu’il porte aux pieds. La longueur de la pointe de ces souliers étant alors régi par les lois somptuaires, elle est une indication de statut social, les plus longue étant bien entendu réservée au roi. De telles poulaines manquant de pratique pour marcher, leur pointe est donc recourbée vers l’arrière et attachée sous le genou par le biais d’une cordelette d’or.

La toilette que porte Mahaut est une relique de la fin de la Désunion : le surcot ouvert. Lorsque qu’à la fin de cette noire période, le vêtement des hommes s’est mis à s’ajuster, les femmes ont bien sûr tenté de suivre le mouvement. Timidement d’abord, en couvrant leurs nouvelles cottes-hardies du perpétuel surcot, mais désormais muni de larges échancrures sur les flancs permettant de révéler leur corps moulé. Surnommées « fenêtres de l’Enfer » par l’Église, ces brèches dans les anciens remparts textiles sont revenues à la mode après la période d’acmé du Voile d’Aphrodite. Puis, la tendance passant, le surcot ouvert s’est figé comme costume d’apparat comme pour s’assurer, en un bras-d’honneur subtil, de toujours se maintenir aux premières loges des cérémonies – notamment religieuses. Celui que porte Mahaut ici est fait de damas doré, entièrement bordé d’hermine. La cotte de velours pourpre portée au-dessous est ornée d’orfroi au bas et aux poignets. Les poulaines de la reine – moins longues que celles du roi –, dont l’on ne distingue que la pointe, sont du même velours bleu que son mantel. Les fermaux retenant celui-ci sont d’or, sertis de perles et d’émeraudes, tout comme sa ceinture, et le carcan à pendentif qui orne son buste. Si le surcot de Mahaut est un style fossilisé, son escoffion est en revanche à la dernière mode. Cette haute coiffe est constituée de truffeaux de velours bleu ou pourpre, cousu de perles, et d’un croisillon de drap d’or cousu de diamants, surmontés d’un bourrelet de velours pourpre et d’un long voile transparent, ainsi que d’une couronne sertie de saphirs, de diamants et de perles

[Avis aux éventuels chapardeurs : tous les accessoires et bijoux créés pour la mise en scène ne sont faits que de simple métal, et les pierres précieuses, de verre coloré. Les dérober n’aurait pour résultat que de faire perdre du temps à tout le monde. Merci de votre compréhension.]

SCÈNE XIII : Giulietta

Dans cette scène, l’actrice jouant le rôle de la magicienne arbore le costume d’apparat typique des courtisanes de Colombine. Sa toilette est entièrement faite de brocart d’or cousu de joyaux multicolores et de perles, doublé de drap d’or.

Son corsage extrêmement ajusté est porté sur un corps-à-baleines, avec une ligne de décolleté conçue pour passer juste sous la poitrine et la dévoiler. Celle-ci est couverte par une guimpe de mousseline translucide, munie d’une collerette de dentelle plissée amidonnée et ornée de gemmes et de perles. La jupe est maintenue sous sa caractéristique forme elliptique par le fameux guardamante, un jupon de lin et de cerceaux de fer ou d’osier. Deux troussoires d’or reliés par un cordon de soie verte, passant derrière la taille de la courtisane, permettent par le biais de leurs crochets de retrousser l’avant de la jupe afin de révéler ce qui se trame au-dessous. Le bas de la chemise de Giulietta, ornée d’une large bande de dentelle de gros-point, est visible sous les épaisseurs de la jupe retenues par les troussoires. Très longue, cette coupe particulière de linge de corps n’est portée qu’avec cette tenue : ses pans sont alors attachés aux cerceaux du guardamante pour former sous les atours un espace comme une tente, permettant à qui le veut de venir « soupirer sous l’atour ». Cette pratique est d’ailleurs illustrée au cours de la même scène par le personnage de Déon.

Les jambes de la dame sont couvertes de bas de soie blancs, et ses pieds sont glissés dans une paire de chopines, dont l’immense semelle de liège est recouverte du même brocart que celui de la jupe. Ces pantoufles très particulières sont originaires d’Ausonie, mais ne sont portées si hautes qu’à Colombine et uniquement par les courtisanes, lors de la parade qui leur font traverser les rues de la ville en cortège afin de faire étalage de leur magnificence, leur richesse et leur beauté. La taille de ces chopines les oblige à cette occasion à adopter une démarche très spécifique et codifiée, où la semelle, plutôt que soulevée, est davantage traînée au sol en un mouvement étudié, en rythme avec la musique. Ce seul aspect de la mise en scène a requis un long entraînement de la part des actrices interprétant des rôles de courtisanes afin de pouvoir se déplacer sans encombre.

Le dernier élément de cette tenue – et non des moindres – qui rend les belles de la lagune si reconnaissables est sans doute leur coiffure. Qu’elles portent le reste de leur chevelure lâchée ou bien attachée, l’avant, en revanche, en est systématiquement coiffé et travaillé en un amoncellement de boucles formant deux cornes.

SCÈNE XIII : Déon, Nicklaus & Ulysse

Ces trois costumes sont un excellent exemple de la mode et de la silhouette masculine répandue au Pays d’Oc à l’époque où se déroule MUTATIS MUTANDIS, ainsi que de son grand amour du satin, composant l’essentiel du linge extérieur de ces tenues.

Les trois personnages sont vêtus du pourpoint – vert brodé d’or pour Déon, bleu marine ourlé d’argent chez Nicklaus, gris argenté pour Ulysse – tel qu’il est porté dans cette région du monde : la taille haut placée, les boutons fermés uniquement sur la poitrine afin de laisser dépasser plus bas le volumineux gonflant de la chemise. Le chevalier et son ami germanique arborent les manchettes et les vastes cols de dentelle blanche typiques d’Oc, tandis que l’habit d’Ulysse, plus modeste, se contente d’un col et de manchettes de lin blanc. Le vagabond n’est cependant pas en reste, et la simplicité de sa mise tient davantage à un goût pour la sobriété qu’à une ignorance des modes ou d’un manque pécunier – comme l’atteste le délicat travail de taillade dans le tissu de son pourpoint –, car il le seul à porter par-dessus son habit l’un de ces longs justaucorps de cuir brut qui est de la toute dernière tendance en Oc.

Accordée au pourpoint et saillant d’entre les plis des culottes longues, la braguette rebondie et pansue particulière à ce royaume – l’unique à avoir conservé la forme de la braye des temps passés – peut être orné d’un court rabat de dentelle – appelé « petit collet » –, comme c’est le cas ici pour Déon et Nicklaus.

Les trois compères sont chaussés de « ladrines » de cuir, qu’Ulysse et le chevalier portent avec des socques de bois destinés à protéger ces bottes de la boue des chemins.

SCÈNE XVII : Gabriella

Ce costume est une autre particularité des courtisanes de Colombine. Il reproduit exactement les éléments de la toilette féminine en vogue au Pays d’Oc, mais au lieu des lourds satins monochromes aux couleurs pastelles, il est entièrement construit dans une mousseline légère et translucide, permettant de deviner qu’aucun linge n’est porté au-dessous.

La taille portée haute, le corsage est fermé sur le devant par une pièce d’estomac qui lui est épinglée. Il est muni de volumineuses manches accentuant la largeur et la rondeur des épaules, ornées d’un vaste col de dentelle blanche. Un coussinet rembourré, attaché autour de la taille, donne l’illusion de hanches plus larges. La jupe, quant à elle, est taillée suffisamment longue pour toucher le sol en dépit des courtes chopines de velours rouge chaussées par Gabriella.

Allongeant encore davantage sa silhouette, l’avant de sa chevelure – du reste coiffée à la mode typique d’Oc – est agrémentée des deux cornes de boucles qui rendent les courtisanes de Colombine si reconnaissables.

SCÈNE XXIII : Chapalu & Platée

Le costume de la dryade Platée s’inspire des toges antiques, mais là s’arrête la comparaison ; car la nymphe, hélas, y a apporté sa touche personnelle. Les multiples perles d’eau douce qu’elle porte ne sont évidemment que des perles baroques, dont les formes bizarres accentuent le caractère disgracieux du personnage. Toutes les mousses figurées sur sa tenue sont de véritables mousses séchées, cousues à même le costume, tandis que l’énorme perruque demandée par le rôle est soutenue par une structure de fils de fer.

Plus raisonnable, l’habit porté par un Chapalu sous forme bipède n’est ni plus ni moins qu’un ensemble typique du Pays d’Oc – très probablement volé lors d’une précédente aventure l’ayant mené par là-bas – : un pourpoint et des culottes de velours vert olive, ainsi qu’une cape bleu nuit, de velours elle aussi, assortie à sa braguette. Cette tenue marque, dès sa première scène, une des tendances marquantes du personnage : baroudeur mais coquet, Chapalu s’accoutre toujours des vêtements auxquels il le trouve le plus de panache.

SCÈNE XXVIII : Mathilde Rózsaneve & ses enfants

Madame Mathilde et sa progéniture sont originaires du palatinat de Pannonia, un des principaux royaumes du Ponant Central, et sont les premiers personnages de cette partie du continent à apparaître dans MUTATIS MUTANDIS. À ce moment sur le point de perdre toute sa fortune, la petite famille incarne cependant encore – pour cette scène uniquement – le style et l’opulence des classes les mieux loties de cette région du monde.

Avec son ensemble de soie bordeaux brodée d’or, Pierrot est vêtu de ce qui se fait de mieux en matière d’habit pour un gentilhomme. Les bandes de tissu qui composent les manches de son pourpoint, la couche supérieure de ses hauts-de-chausses, ainsi que sa braguette, attestent du goût prononcé de son pays pour ce style particulier permettant de laisser apparaître les tissus du dessous – soit la chemise ou les doublures. Également typique, les rubans d’attache de ses haut-de-chausses traversent le pourpoint au niveau de la taille pour former une ligne de nœuds ornementaux juste sous la ceinture. Leur couleur bleue foncée rappelle celle des impressionnantes rosettes de tissu qui ornent ses souliers, ainsi que sa braguette « à la virago », nommée d’après les manches de corsage que l’on peut voir chez sa mère et ses sœurs.

Les trois femmes arborent d’ailleurs toutes la silhouette en vogue et les éléments incontournables d’une toilette de dame dans le Ponant Central : une jupe à gros plis portée par-dessus un bourrelet, un corsage baleiné aux manches très volumineuses et fermé par une pièce d’estomac, un col de dentelle ou de mousseline. Mère et filles représentent à la perfection l’éventail de variations d’une même mode à une époque donnée en fonction du goût chacun. Occupant l’une des extrémités, la plus vieillotte, Madame Mathilde a conservé le goût des étoffes sombres chargées de motifs très intriqués, ici une soie d’un vert profond brodée au fil d’or. Antoinette, incarnant l’entre-deux, est déjà passée aux satins monochromes de couleur claire – ici un blanc crème ourlé d’or –, et a délaissé les fraises pour une collerette portée en arrière sur les épaules. Comme sa mère, elle porte toujours la longue robe noire et la ceinture de tissu, qui restent des éléments très reconnaissables de cette région. Rosine, en revanche, l’a abandonnée. La plus coquette de la famille est à la pointe de la mode de Pannonia, avec une taille portée très haut, presque sous les seins, et son col presque entièrement rabattu sur les épaules.

La ferveur et les aspirations religieuses de Capucin, le cadet des deux garçons de Mathilde, le mettent d’office hors du jeu des modes. Cependant, la richesse de la fine dentelle de son surplis ainsi que la croix d’or et de joyaux qu’il porte autour du cou sont des témoins des largesses dont il a bénéficié jusque-là grâce à la fortune familiale.